Les contestataires de procès-verbaux bientôt fichés?

Les contestataires de procès-verbaux bientôt fichés?

Lexbase Hebdo édition publique n˚241 du 5 avril 2012

[Permis de conduire] Questions à…

Les contestataires de procès-verbaux bientôt fichés ?

Questions à Jean-Charles Teissedre, avocat au barreau de Montpellier spécialisé dans le droit routier et administrateur de l’Automobile club des avocats

N° Lexbase: N1141BTG

par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition publique

L’arrêté du 20 février 2012, autorisant la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « automatisation du registre des entrées et sorties des recours en matière de contravention » (ARES) (N° Lexbase : L4754ISU), a été publié au Journal officiel du 16 mars 2012, après avoir été validé par la CNIL dans une délibération du 3 mars 2011 (délibération n˚ 2011-066 du 3 mars 2011 N° Lexbase : X1923AKG). Celui-ci aura pour finalité de traiter les requêtes en exonération et les réclamations des personnes mises en cause dans le cadre d’un procès-verbal de constatation. Les catégories de données à caractère personnel enregistrées dans le traitement (identité et vie professionnelle de l’auteur de l’infraction, identification du véhicule), particulièrement larges, peuvent, cependant poser problème, surtout à une époque où les autorités publiques ont tendance à multiplier les fichiers. Seuls pourront accéder aux données et informations contenues dans le traitement les fonctionnaires exerçant les fonctions d’officier du ministère public en application des dispositions des articles 45 (N° Lexbase : L8156G79) et 46 (N° Lexbase : L8157G7A) du Code de procédure pénale, ainsi que les fonctionnaires des services de l’office du ministère public, individuellement désignés et spécialement habilités par leur chef de service. En outre, les données seront conservées pendant cinq ans à partir de la date du dernier fait enregistré à l’occasion d’une même affaire ; le droit d’opposition prévu à l’article 38 de la loi n˚ 78-17 du 6 janvier 1978 (N° Lexbase : L8794AGS) ne s’appliquera pas au présent traitement. Le fichier sera opérationnel dans quelques jours à Paris, puis dans les trois départements de la petite couronne parisienne (Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine et Valde-Marne) avant une généralisation à toute la France. Pour faire le point sur ce nouveau traitement qui ne manquera pas de créer la polémique, Lexbase Hebdo — édition publique a interrogé Jean-Charles Teissedre, avocat au barreau de Montpellier, spécialisé dans le droit routier et administrateur de l’Automobile club des avocats.

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste le fichier « ARES » ?

Jean-Charles Teissedre : Avec la mise en place de ce fichier, les données personnelles de ceux qui contestent les contraventions au Code de la route seront collectées par la préfecture de police de Paris. Il s’agit des contraventions des quatre premières classes, donc l’immense majorité des infractions au Code de la route. Sont, plus précisément, visées les requêtes en exonération prévues à l’article 529-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0857DYE) et, en cas de majoration de l’amende forfaitaire, les réclamations visées à l’article 530 dudit code (N° Lexbase : L7597IMC). L’on peut rappeler que, selon le premier alinéa de l’article 529-2 du Code de procédure pénale, le contrevenant doit s’acquitter du montant de l’amende forfaitaire dans un délai de quarante-cinq jours, à moins qu’il ne formule, dans le même délai, une requête tendant à son exonération. En application du second alinéa de cet article, à défaut de paiement ou de requête en exonération, l’amende forfaitaire est majorée de plein droit et recouvrée en vertu d’un titre exécutoire contre lequel, selon l’article 530 du même code, l’intéressé peut former, auprès du ministère public, une réclamation motivée qui a pour effet d’annuler le titre exécutoire.

Les catégories de données à caractère personnel enregistrées dans le fichier « ARES » sont les données relatives : à l’identité (civilité, nom, prénom, date et lieu de naissance, sexe, adresse) du propriétaire du véhicule et, le cas échéant, de l’auteur de l’infraction ; à la vie professionnelle (nom du responsable légal dans le cas de réclamations de sociétés) ; à l’identification du véhicule utilisé ; aux infractions (nature, date, heure, lieu) et au montant de l’amende forfaitaire. Le fichier contient, également, les références permettant l’identification du fonctionnaire qui opère la saisie (nom, numéro d’identification, informations de connexion). Si notre action a pour objectif de défendre les usagers de la route contre une nouvelle stigmatisation outrancière, il s’agit aussi de protéger les droits et libertés fondamentaux des citoyens contre la création d’un fichier d’antécédents pré-judiciaires. En effet, on n’aura jamais trouvé de critères aussi larges pour ficher la population française.

Par ailleurs, il faut souligner que cette affaire intervient dans un contexte de généralisation des fichiers tous azimuts : fichier des cartes nationales d’identité et des passeports (loi n˚ 2012-410, 27-03-2012, relative à la protection de l’identité N° Lexbase : L6317ISR, partiellement censurée par les Sages dans leur décision n ˚ 2012-652 DC, du 22 mars 2012 N° Lexbase : A3670IGZ) (1), fichiers mis en place par les partis ou groupements à caractère politique dans le cadre de leurs activités politiques (délibération n˚ 2012-020 du 26 janvier 2012 de la CNIL N° Lexbase : X1422AKU), contrôle des congés de maladie des fonctionnaires (décret n˚ 2011-1359 du 25 octobre 2011 (N° Lexbase : L2096IR3), mise en place de systèmes de vidéoprotection (circulaire 14 septembre 2011, relative au cadre juridique applicable à l’installation de caméras de vidéoprotection sur la voie publique et dans des lieux ou établissements ouverts au public, d’une part, et dans des lieux non ouverts au public, d’autre part N° Lexbase : L1065IRU), traitement des demandes d’acquisition de la nationalité française (décret n˚ 2011-811 du 5 juillet 2011 ( N° Lexbase : L7331IQL), ou encore atteintes à la sécurité publique (décrets du 29 mars 2011, n˚2011-340 N° Lexbase : L8923IP8), n˚ 2011-341 N° Lexbase : L8924IP9), et n˚ 2011-342 (N° Lexbase : L8925IPA).

Lexbase : La préfecture de police rétorque qu’il s’agit d’un simple outil administratif. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Charles Teissedre : Un fichier dont l’objet est de recenser des personnes qui font l’objet de poursuites pénales et géré par des fonctionnaires de police ne peut pas être considéré comme un simple fichier administratif. Les fichiers ont vocation, tôt ou tard, à être croisés avec d’autres fichiers. Une grande partie de la population française -« les mauvais élèves » du Code de la route— va se retrouver fichée dans un obscur fichier pour d’obscurs motifs. Bien évidemment, beaucoup de gens n’oseront pas exercer leur droit, parce qu’ils ne voudront pas se retrouver dans ce fichier. Comment ne pas réagir ? Ce procédé est inacceptable dans un Etat de droit. En outre, pourquoi conserver ces données alors que le contrevenant serait relaxé par un tribunal ? L’on peut aussi s’inquiéter sur la collecte éventuelle des données des avocats. En effet, ces derniers parlent régulièrement au nom de leurs clients et l’arrêté ne précise pas dans ce cas l’attitude adoptée par les pouvoirs publics.

Lexbase : La CNIL avait rendu un avis favorable en mars 2011. Elle avait, notamment, estimé que « les accès au traitement seront restreints par des profils établis en fonction des attributions et compétences, notamment territoriales, de ces fonctionnaire« . Cette position était-elle justifiée selon vous ?

Jean-Charles Teissedre : L’autorisation de la CNIL est à mon sens regrettable tant le nombre de personnes concernées est important. La création de fichiers doit correspondre à des nécessités impérieuses qui ne sont pas réunies ici. Qui n’a pas contesté une fois dans sa vie un procès-verbal ? Les personnes qui seront relaxées par le tribunal continueront-elles d’être fichées ? Pendant les cinq années prévues par l’arrêté ? Et les autres ? Méritentelles d’être fichées comme de dangereux criminels par le simple fait d’avoir contesté un procès-verbal qui constate un péché véniel ? Comment la CNIL a-t-elle pu admettre la suppression du droit d’opposition pour les personnes concernées ? La vérité est que les autorités considèrent qu’il y a trop de contestations. En oubliant qu’il s’agit souvent de personnes souvent victimes d’une injustice qui ne font qu’exercer les droits qui sont contenus dans le Code de procédure pénale. En outre, dans sa délibération du 3 mars 2011, la CNIL « prend acte que ce traitement ne constitue pas un fichier d’antécédents judiciaires en matière contraventionnelle et qu’il ne sera pas utilisé comme tel« . L’on peut avoir les plus grandes craintes que cette bienveillance a priori soit ensuite démentie par les faits.

Elle indique, également, que « le traitement est hébergé dans les locaux sécurisés de la préfecture de police et les connexions empruntent un réseau privatif du ministère de l’Intérieur« . Comment établir de manière transparente quelles seront les données qui resteront réellement confidentielles et ce qui se passera exactement à l’intérieur de ce réseau « privatif ».

Lexbase : Envisagez-vous de déposer un recours contre le fichier « ARES » ?

Jean-Charles Teissedre : Oui, nous souhaitons déposer tous les recours que nous offre notre droit. Les recours sont à l’étude ou en cours de rédaction. Contester un procès-verbal dans les formes requises par la procédure de l’amende forfaitaire n’est déjà pas facile. Surtout si l’on considère que l’officier du ministère public a tendance à s’arroger des droits qu’il n’a pas, la France ayant été récemment condamnée par la CEDH en raison de l’impossibilité de contester le rejet d’une demande d’exonération de contravention routière (CEDH, 8 mars 2012, Req. 12 039/08 (N° Lexbase : A0666IEE), Req. 14 166/09 (N° Lexbase : A0667IEG), Req. 39 243/10 (N° Lexbase : A0668IEH) (2) et qu’il faut parfois consigner une somme d’argent avant de contester. La France n’a donc déjà pas bonne presse auprès des juges strasbourgeois qui ont, dans les trois dossiers, estimé qu’il avait été porté atteinte au droit d’accès à un tribunal « dans sa substance même« , voire à l’atteinte au droit des intéressés à la présomption d’innocence. Si en plus on sait que l’on va se retrouver dans un fichier policier… On voudrait dissuader le justiciable de faire valoir ses droits que l’on ne s’y prendrait pas autrement !

(1) Lire Passeport biométrique : quand le Conseil d’Etat se fait gardien des libertés individuelles du voyageur —

Questions à Eric Barbry, avocat à la Cour, directeur du pôle « Droit du numérique », Alain Bensoussan Avocats,

Lexbase Hebdo n˚ 222 du 9 novembre 2011 — édition publique (N° Lexbase : N8625BSA).

(2) Lire La CEDH sanctionne l’impossibilité pour les automobilistes français de contester en justice une contravention routière, Lexbase Hebdo n˚ 238 du 14 mars 2012 — édition publique (N° Lexbase : N0772BTR).

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